Uccle dit « non » au projet de loi sur les visites domiciliaires

Le Conseil communal d’Uccle a voté jeudi dernier une motion visant à s’opposer au projet de loi autorisant ce qui est pudiquement qualifié de « visites domiciliaires » dans un logement où réside une personne en situation irrégulière.

Déposée par les groupes Ecolo et PS, et cosignée par Défi et le cdH, cette motion a été adoptée par 20 voix pour (7 Ecolo, 5 Défi, 4 PS, 3 cdH et l’échevin libéral Marc Cools), 18 abstentions (les élus MR) et 0 voix contre.

Le texte :

« – RAPPELLE que la Belgique doit demeurer une terre d’asile ;

– INVITE le Gouvernement fédéral à reconsidérer sa position au sujet du projet de loi en question au regard des différents avis émis jusqu’à présent par le Conseil d’État, l’ordre des avocats, l’association syndicale de la magistrature, les Évêques de Belgique et les différentes associations citoyennes (CNCD, Ligue des droits de l’Homme, Ciré…) ;

– INVITE le Parlement fédéral à rejeter tout projet ou toute proposition de loi qui viserait à autoriser des visites domiciliaires dans un logement où réside effectivement un ou plusieurs étrangers en séjour irrégulier en Belgique ;

– CHARGE M. Le Bourgmestre de transmettre cette motion à M. Le Président de la Chambre, aux différents chefs de groupes parlementaires, à M. Le Premier Ministre, à M. Le Ministre de l’Intérieur et à M. Le Ministre de la Justice ».

Près d’une centaine de personnes avait rallié la Maison communale afin de suivre les débats. Au cours de ceux-ci le chef de groupe MR Didier Reynders a pris la parole, sans forcément convaincre, pour rappeler « que la Belgique est et doit rester une terre d’asile, ce qui signifie aussi que quand on vient sur le territoire, on doit demander l’asile. Un certain nombre de personnes choisissent de se mettre dans une situation d’illégalité ». Il a insisté sur le fait que le projet de loi répond à « la nécessité d’encadrer les opérations de police » et a indiqué que les discussions devaient se poursuivre et que des consultations étaient en cours au niveau fédéral.

Pour ma part, j’ai rappelé au nom du groupe Ecolo que « Quand la ligne rouge est en passe d’être franchie, alors que l’on a déjà dangereusement flirté avec celle-ci en d’autres occasions, il convient de se lever, de se mobiliser et de dire clairement : NON, ce n’est pas acceptable, cela va trop loin. Il existe des droits fondamentaux, notamment celui de l’inviolabilité du domicile, des principes humanitaires dans notre pays, ils ne peuvent pas être ainsi mis à mal. Il est des moments où il est bon, où il est sain, où il est même indispensable de rappeler les balises qui sont les nôtres, celles qui guident notre action, en tant que démocrates».

La prise de position du Conseil communal d’Uccle rejoint les votes de dizaines d’autres communes belges et participe ainsi à amplifier un large mouvement de solidarité et à répercuter un malaise profond dans le chef d’une partie importante de la population face à ce projet de loi.

Notre assemblée locale a ainsi pleinement joué son rôle de garant de la démocratie sur le plan local, ce qui est rassurant et salutaire.

Le même vote est intervenu au conseil de police de la zone Uccle-Watermael-Boitsfort-Auderghem. La motion y a également été adoptée à une large majorité, seuls les libéraux se sont une nouvelle fois abstenus.

Vous trouverez ci-dessous, dans leur intégralité, le texte de mon intervention au conseil communal ainsi que celui de la motion :

Conseil communal d’Uccle du 22 février 2018 – motion « visites domiciliaires » – intervention du groupe Ecolo

Cher.e.s collègues,

Je veux éviter ici toute polémique stérile. Personne n’en sortirait grandi.

Il est des moments où il est bon, où il est sain, où il est même indispensable de rappeler les balises qui sont les nôtres, celles qui guident notre action, en tant que démocrates. L’heure n’est pas à un juridisme pointu. Ce serait malvenu.

Quand la ligne rouge est en passe d’être franchie, alors que l’on a déjà dangereusement flirté avec celle-ci en d’autres occasions, il convient de se lever, de se mobiliser et de dire clairement : NON, ce n’est pas acceptable.

Notre assemblée à un rôle à jouer en tant que garant de la démocratie sur le plan local. C’est pourquoi le groupe Ecolo a déposé, avec le groupe PS, cette motion pour dire NON aux visites domiciliaires.

Le projet de loi de la majorité fédérale actuellement en cours d’examen et qui autorise des visites domiciliaires dans un logement où réside une personne en séjour irrégulier, qui est très souvent une personne en situation de grande vulnérabilité, va trop loin.

C’est ce qu’ont dit, chacun à leur manière, les représentants des juges d’instruction fr et nl, l’Ordre des avocats fr et nl, lors des auditions qui se sont tenues au Parlement fédéral. La police ne semblait guère plus convaincue : « nous n’en avons pas besoin ».

D’autres acteurs ont également exprimé leur opposition et/ou leur malaise : la LDH, le Ciré, le CNCD, les Évêques de Belgique, une loge maçonnique, et j’en passe…

Ce projet de loi tend à mettre sur le même pied, à traiter symboliquement un étranger qui a le seul tort de ne pas avoir de papiers ou de ne pas avoir les bons papiers, qui n’a pas quitté son pays de gaieté de cœur, de la même manière que les auteurs d’infractions graves.

Il est symboliquement « criminalisé » ce qui est insupportable.

Or on sait qu’aujourd’hui un ordre de quitter le territoire peut être délivré très rapidement et plus facilement.

Mettre un appartement à disposition d’une personne en séjour irrégulier ou encore l’accueillir chez soi (et c’est le cas de nombreux citoyens, notamment dans notre commune), ce sont des gestes humanitaires, des marques de solidarité, d’une hospitalité réconfortante en ces temps où l’individualisme va grandissant. Imaginez que ces lieux puissent faire l’objet de ce qui est qualifié pudiquement de « visites domiciliaires », que l’on puisse envisager de déroger dans pareil cas à la protection constitutionnelle attachée au domicile, c’est intolérable.

La motion qui vous est soumise ce soir vise à rappeler que la Belgique doit plus que jamais demeurer une terre d’asile, à demander au gouvernement fédéral de reconsidérer sa position au sujet du projet de loi dont question et au Parlement de refuser tout texte qui autoriserait pareilles visites domiciliaires.

C’est aussi rappeler, comme nombre d’autres conseils communaux, notre attachement à des valeurs telles que l’ouverture à autrui, la solidarité, la liberté d’aller et de venir.

A Uccle aussi, restons libres de choisir la solidarité.

Motion du Conseil Communal d’Uccle concernant le projet de loi autorisant les visites domiciliaires

déposée par Thibaud Wyngaard (Ecolo), Claudine Verstraeten (PS), Emmanuel De Bock (Défi) et Céline Frémault (cdH)

Considérant le fait que la Commission de l’intérieur de la Chambre a examiné ces mardis 23 et 30 janvier 2018 le projet de loi du 7 décembre 2017 qui autorise les visites domiciliaires en vue d’arrêter une personne en séjour illégal ;

Considérant le fait que le droit belge offre déjà aux forces de sécurité tout le loisir d’intervenir et de contrôler toute personne susceptible de nuire à l’ordre public ;

Considérant que le projet de loi dont question vise à modifier la législation de telle sorte que les juges d’instruction soient placés dans la quasi obligation de permettre ces visites domiciliaires ;

Considérant que l’impartialité et l’indépendance du juge d’instruction constituent des principes fondamentaux de l’organisation judiciaire de tout Etat démocratique ;

Considérant que le domicile est inviolable en vertu de l’article 15 de la Constitution, que les exceptions à l’inviolabilité du domicile sont strictissimes et que le juge d’instruction n’ordonne une perquisition que dans le cadre d’une infraction ou d’une instruction pénale et non d’une procédure administrative ;

Considérant que le projet de loi dont question porte atteinte de manière disproportionnée au respect de la vie privée et à sa composante relative à l’inviolabilité du domicile (art. 15 de la Constitution et 8 de la CEDH) en ce qu’il prévoit que les services de police pourront fouiller l’habitation afin de chercher des documents d’identité ;

Considérant que la Cour constitutionnelle, dans son récent arrêt 148/2017 du 21 décembre 2017 censure certaines dispositions de la loi pot-pourri II, et annule précisément la possibilité de procéder à une perquisition via une mini instruction en ces termes :

« En raison de la gravité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et dans le droit à l’inviolabilité du domicile, la Cour décide que la perquisition ne peut, en l’état actuel du droit de la procédure pénale, être autorisée que dans le cadre d’une instruction. Permettre la perquisition via la mini-instruction dans le cadre de l’information sans prévoir des garanties supplémentaires pour protéger les droits de la défense viole le droit au respect de la vie privée et le droit à l’inviolabilité du domicile » ;

Considérant que ce raisonnement s’applique a fortiori dans le cadre d’une procédure administrative ;

Considérant que le projet de loi dont question ne permet aucun recours effectif contre la décision du juge d’instruction pour l’étranger ou l’hébergeur. Alors qu’il est de jurisprudence constante qu’«  en matière de visites domiciliaires les personnes concernées puissent obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que des mesures prises sur son fondement. (CEDH, Ravon et autres C. France, Req. n° 18497/03 21 février 2008 p.14) » ;

Considérant qu’il criminalise erronément le fait simplement d’être sans papiers et  permet de requérir du juge d’instruction l’accomplissement d’un acte sans qu’aucune instruction ne soit ouverte ;

Considérant que le projet de loi stigmatise les personnes en situation de séjour illégal en mettant à mal les droits de la défense les plus fondamentaux et en assimilant une procédure administrative à une procédure pénale ;

Considérant que le droit au respect de la vie privée et le droit à l’inviolabilité du domicile constituent des principes fondamentaux dans notre Etat de droit ;

Considérant que dans notre commune, comme dans tout le pays, un mouvement citoyen d’aide humanitaire et d’hébergement bénévole s’est mis en place. Qu’ainsi des Uccloises et des Ucclois apportent quotidiennement soutien et réconfort aux migrants ;

Vu la Motion relative à l’adhésion d’Uccle au réseau « Villes Lumières » d’Amnesty International adoptée à l’unanimité par le Conseil communal en séance du 28 avril 2016 ;

Le Conseil communal d’Uccle :

– RAPPELLE que la Belgique doit demeurer une terre d’asile ;

– INVITE le Gouvernement fédéral à reconsidérer sa position au sujet du projet de loi en question au regard des différents avis émis jusqu’à présent par le Conseil d’Etat, l’ordre des avocats, l’association syndicale de la magistrature, les Évêques de Belgique et les différentes associations citoyennes (CNCD, Ligue des droits de l’Homme, Ciré…) ;

– INVITE le Parlement fédéral à rejeter tout projet ou toute proposition de loi qui viserait à autoriser des visites domiciliaires dans un logement où réside effectivement un ou plusieurs étrangers en séjour irrégulier en Belgique ;

– CHARGE M. Le Bourgmestre de transmettre cette motion à M. Le Président de la Chambre, aux différents chefs de groupes parlementaires, à M. Le Premier Ministre, à M. Le Ministre de l’Intérieur et à M. Le Ministre de la Justice.